Serafino Malaguarnera
L’acte psychanalytique et sa relation avec le tout |
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Partons de l’acte tout court. Ce que l’acte commande, à savoir l’accomplissement, a lieu d’un dire dont l’effet est un changement du sujet.
Prenons l’acte sexuel. Ce qu’il commande, l’accomplissement de l’homme dans son statut d’homme et la femme de même, a lieu d’un dire où le savoir d’un sexe pour mâle aboutit à une certaine vérité qui est celle de son impuissance à faire quelque chose de plein de l’acte sexuel. Le sujet en accuse réception sous forme de castration.
Rejoignons l’acte psychanalytique. Ce qu’il commande, à savoir la réalisation de la tâche analysante, se situant sur l’axe « ou je pense pas/ ou je ne suis pas », sera la mise à nu de la structure même de l’acte. La structure est le demi-groupe de Klein. Partons du départ, du « ou je ne pense pas ou je ne suis pas ». Quoique vous choisissiez, vous perdez quelque chose. Ce qui sera mis à nu de cette structure, c’est de montrer que ce qui choit est ce qui cause le désir d’accomplir, où le tout prend place et de montrer que la division de sujet en est l’effet. A la fin de la tâche analysante, le psychanalysant, en étant arrivé à la réalisation qui est celle de la castration en faisant choir l’en-soi de l’objet petit a, fait retour au point de départ mythique du choix forcé, du je ne pense pas ou je ne suis pas. Ici, il peut s’accomplir un acte en sachant, en connaissance de cause, pourquoi cet acte ne le réalisera lui-même jamais pleinement comme sujet. Le moment électif où il se produit est celui où le psychanalysant passe au psychanalyste.
Qu’en est-il d’un savoir, pour un souci de transmission, qui s’en dégage de cet acte ? Est-ce que la passe peut être en-soi garant d’une transmission d’une certaine expérience ? Si oui, comment la concevoir ? Est-ce qu’une institution psychanalytique a le pouvoir de remettre à la place du pas-tout, ouverte par la béance laissée par l’objet petit a, le tout offrant sur un plateau d’argent un savoir unifiant ? Si oui, comment répondre à ce risque ?
Ce texte se compose essentiellement de trois thèmes : l’acte tout court, l’acte sexuel, l’acte psychanalytique. Les deux premiers thèmes sont présentés pour nous rappeler certains concepts introductifs à une partie centrale du troisième thème qui sera l’objet de notre développement.
L’expression « acte tout court », utilisée par Lacan, se réfère au concept d’acte pris dans son acception générale, en tant que catégorie universelle et non pas particulière. Suivant la démarche de Lacan, nous partons d’une catégorie universelle pour arriver à une catégorie particulière pour la raison suivante. Habituellement, cette direction est suivie parce que l’universel permet d’élucider le particulier ; ici, c’est le contraire, le particulier, notamment l’acte psychanalytique, amènera à mieux comprendre l’acte en général. La définition que nous avons proposée est la suivante : « ce que l’acte commande, à savoir l’accomplissement, a lieu d’un dire dont l’effet est un changement du sujet ». Trois concepts pivotent autour de cette définition prenant surtout une signification différente essentiellement en fonction de deux visions sur l’acte qui se sont imposées dans notre tradition occidentale. Pour la première vision, qui relève surtout de la tradition philosophique, la signification donnée au concept d’accomplissement joue sur les deux significations du terme : ce qui est terminé et ce qui est complet. L’acte, pour être tel, doit donc, en s’accomplissant, pouvoir atteindre la réussite attendue, faute de quoi il ne pourra être appelé un vrai acte. Cela implique essentiellement deux aspects : l’essence du vrai acte est d’être parfait et il ne contient pas en soi la conception du risque. L’imperfection ne peut parvenir que de la contingence par la faute de laquelle l’acte n’est plus un acte vrai, mais une forme dégradée de l’acte, se réduisant donc à être du non-acte. Cette conception de l’acte remonte à Aristote, qui a continué de régir la pensée philosophique sur l’acte. Chez ce philosophe, en effet, l’acte a vocation naturelle à la perfection qui est celle de la pensée abstraite. L’acte normal renvoie à la norme de l’acte, qui est celle d’être la manifestation de l’être, l’actualisation d’une puissance ou, en termes aristotéliciens, le passage de la puissance à l’acte. Dans la pensée post-aristotélicienne, avec Saint Augustin et le thème de l’intention, avec Descartes et le cogito, avec Kant et les formes a priori de l’entendement et de la sensibilité, le contenu de l’acte a été dans une certaine mesure modifié, laissant intact sa structure générale. Ce qui est de l’ordre de l’être est alors précisément devenu ce qu’on nomme le sujet. Dans le passage de la puissance à l’acte, ce qui était la manifestation de l’être s’est converti dans la réalisation du projet du sujet. Dans les deux cas, ce qui prédétermine complètement l’acte, c’est ce que nous nommons le pré-acte : puissance ou projet. Dans cette optique, qu’il s’agisse du sujet ou de l’être, il faut absolument séparer le risque et l’acte, ne pas faire du risque une propriété intrinsèque de l’acte. Pour la deuxième vision, qui relève surtout de la tradition populaire, la signification donnée au concept d’accomplissement ne joue que sur une seule signification du terme : ce qui est terminé, et l’autre signification « ce qui est complet » n’est pas pris en compte. Dans cette acception, l’acte ne vise pas à la complétude, à la perfection : l’acte, pour être tel, ne doit donc pas nécessairement atteindre la réussite attendue. Cela implique essentiellement deux aspects : la perfection n’est plus l’essence même du vrai acte et il doit nécessairement contenir en soi la conception du risque. La première vision vise à une complétude de l’être, l’autre en dénonce l’incomplétude. Pour les deux visions, l’acte ne peut que venir d’un lieu d’un dire.
Lors du séminaire sur la logique du fantasme, Lacan s’arrête longuement sur l’acte sexuel. Freud avait déjà suffisamment pointé l’impossibilité de l’inconscient à signifier l’être mâle et l’être femelle qui à travers l’acte sexuel veulent y pallier. C’est à Lacan de démontrer logiquement cette découverte à l’aide de la division harmonique qui est le plus remarquable des partages asymétriques d’une droite, la médiété géométrique de partition. C’est une médiété de trois termes dont le plus grand est égal à la somme des deux autres : a=b+c. Les trois termes a,b,c, sont rassemblés en une proportion unique qui correspond à la division d’une droite AB où le grand segment (b) est au petit (c) comme leur somme est au grand segment.
Soit, sur une droite :
Nous allons représenter cette division sur une droite, en posant le petit segment b comme l’objet petit a, le segment qui doit être mesuré, et le grand segment a comme le Un et 1, les segments qui servent à mesurer :
Le premier Un indique le champ de l’unité au sens de l’union du couple où le sujet est posé pour la première fois comme produit par la mère qui est aussi la première présentification du grand Autre. Cette première unité instaurée par l’idée de l’union de la mère avec l’enfant n’a aucune liaison avec l’opposition masculin/féminin étant donné que soit le garçon soit la fille devront s’y confronter en tant qu’objet petit a. Le deuxième 1 est le 1 comptable du trait unaire qui répète le premier quand le sujet veut se compter comme un, dans le lieu de l’Autre, quand il veut s’identifier comme partenaire sexuel.
Nous pouvons maintenant reprendre les équations de la division harmonique, soit :
A ces segments, nous remplaçons les valeurs a=1, b=a, c=1-a et nous obtenons les équations suivantes :
de même :
Si nous remplaçons 1-a avec a2, nous obtenons :
Étant donné que le résultat de ces équations nous donne le nombre d’or qui correspond à 1,618, nous pouvons trouver maintenant facilement la valeur de a :
Si nous remplaçons les valeurs avec des chiffres, nous obtenons :
0,618 = 1 = 0,618 + 0,382 = 1,618 = 1 + 0,618
0,382 0,618 0,618
Ce nombre, à savoir l’inverse du nombre d’or, nous permet de montrer son incommensurabilité à l’unité et de désigner la partialité de l’objet a, qui n’est pas celle de la partie d’un tout mais au contraire celle d’une partie n’ayant aucune commune mesure avec le Un de la totalité. Cette incommensurabilité du sujet comme a avec le 1 de l’Autre nous montre le fait qu’il n’y a pas de commune mesure de jouissance entre le sujet et l’Autre dans le champ de l’union sexuelle. D’autre part, cette incommensurabilité institue un creux, un vide à chaque coup que nous pouvons montrer de la manière suivante.
Chaque partner rencontre dans l’acte sexuel le manque et un écart se produit entre le sujet et la jouissance où le sujet croyait pouvoir être à la hauteur du rôle assigné. Le sexe masculin qui matérialise cette défaillance sous forme de détumescence devient le symbole pour indiquer le moins, le non-accompli, ce qui revient à dire la castration. Dans l’acte sexuel, l’objet petit a est ce qui profile le mirage d’une totalité, est ce qui cause l’acte ; la seule vérité qui en découle est l’impossibilité d’obtenir la complétude renvoyant au sujet son vrai statut : un sujet divisé. La plupart de ces termes nous les retrouverons lorsque Lacan développera les questions autour de l’acte psychanalytique.
Dans le séminaire sur l’acte psychanalytique, Lacan aborde ce thème essentiellement avec le groupe de Klein, et plus précisément un demi-groupe de Klein, où s’inscrivent les trois opérations fondamentales : l’opération aliénation, l’opération vérité et l’opération transfert. Au départ de ces trois opérations, nous avons le vel de l’aliénation : « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas », par lequel Lacan traduit le Cogito cartésien à la lumière de la découverte freudienne. Pour arriver à cette formulation du Cogito cartésien, nous devons partir de la conjonction propositionnelle du cogito (je pense, je suis) dont la vérité propositionnelle est donnée par la vérité des deux propositions. Ensuite, nous portons la négation sur les deux propositions pour appliquer les lois de De Morgan qui se résume en : la négation d’une conjonction équivaut à la disjonction de deux négations. Soit :
Au départ :
Non (« je pense, je suis)
- (a et b)
En appliquant les lois de De Morgan
- ( a et b) = (-a) v ( -b)
Non ( « je pense, je suis) équivaut à « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas ».
Étant donné que nous nous trouvons face à un vel exclusif, la vérité d’une proposition exclut la vérité de l’autre proposition.
Contrairement au Cogito cartésien qui cherche à installer le sujet en un point minimal certes, mais fixe et assuré, en utilisant des formulations positives ( je pense donc je suis), la découverte freudienne, à savoir la mise en valeur de ce qui justement dans le discours achoppe, comme le lapsus, l’oubli, etc., impose une formule négative. La formule « ou je ne pense pas, ou je ne suis pas, qui se présente comme un choix exclusif, force un choix ; en effet, le côté forcément choisi est le « je ne pense pas ». Lorsque quelqu’un dit « toutes mes félicitations » au de lieu de « toutes mes condoléances », il dira qu’il ne le pensait certainement pas, ainsi il s’assure une continuité de son être. C’est assurance, qui ne s’appuie que sur l’imaginaire, est un versant de l’aliénation. Et de toute évidence, cette continuité d’être, ne peut qu’instituer qu’un faux être. Par contre, toute la démarche analytique consiste à effectuer l’autre choix en nous arrêtant sur la parole qui nous échappe, au lapsus, où se manifeste l’inconscient, c’est-à-dire le lieu « où je ne suis pas ». Cette démarche ne peut qu’être mise en route par l’acte du psychanalyste qui commande l’accomplissement de la tâche analysante qui se situe précisément sur cet axe du « ou je ne pense pas » au « je ne suis pas ». Mais procédant vers le « je ne suis pas », rien de l’ordre de l’accomplissement, de la complétude apparaît, sinon de l’ordre de l’incomplétude. En effet, si le premier choix implique une perte, l’autre choix « je ne suis pas », en implique aussi une : il révèle, au terme de l’analyse, au-delà du sens, dans l’inconscient, non pas un sujet, mais un assemblage purement matériel de signifiants qui ne valent que par leur littéralité. Le terme de l’analyse suppose donc une opération de vérité qui, en montrant que le sujet est toujours supposé, se traduit de cette chose non seulement formulée mais incarnée qui s’appelle castration symbolisée par le moins phi d’où s’inscrit la béance propre de l’acte sexuel. Cette opération implique inévitablement celle du transfert qui, au terme de l’analyse, destitue le sujet supposé savoir en faisant déchoir l’objet petit a, à savoir ce qui derrière tout acte se profile comme cause. Nous retrouvons ici les mêmes termes que nous avons trouvés en questionnant l’acte sexuel : l’objet petit a, qui profile le mirage d’une totalité et qui cause l’acte ; la castration, symbolisé par le moins phi, ce que l’acte rencontre.
Lacan voit dans cet objet petit a, celui que Freud martèle dans tous les temps de sa naissance de l’inconscient, le principe de l’acte. En effet, derrière tout acte, se profile ce mirage de totalité sous forme d’accomplissement dont cet objet en est la cause. Et ce que l’acte rencontre est de fait une béance. Les trois opérations ( aliénation, vérité, transfert) aboutissent au terme de l’analyse dans la chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’avènement de cet objet « a », comme cause de la division du sujet qui vient à sa place. Dans le dispositif analytique, l’analyste qui supporte la fonction du sujet supposé savoir ne supportera au terme de l’analyse que ce reste qui s’appelle l’objet « a ». C’est autour de cette question que l’acte psychanalytique se pose. Ce que l’acte psychanalytique commande est la tâche analysante, se situant dans l’axe ou je ne pense pas/ ou ne je suis pas, mais ce qu’il accomplit c’est au terme de l’analyse ce résidu, ce déchet, cette chose rejetée appelée objet « a ». Celui qui aboutit à la fin de l’analyse ne sera pas sans le savoir du terme ultime de l’accomplissement de l’acte psychanalytique. C’est dans cette position de sachant, de « pas-sans le savoir » que celui qui aboutit au terme de l’analyse et veut relever le gant de cet acte pour occuper la fonction de sujet supposer savoir en tant qu’analyste, inaugure à travers un acte de passage, qui peut être la passe, l’acte psychanalytique.
Avant de procéder, voulons bien souligner que l’acte sexuel rejoint l’acte psychanalytique sous un aspect fondamental. Nous avons vu que l’acte sexuel rencontre la castration, en d’autres termes le sujet réalise qu’il n’a pas l’organe de la jouissance unique, unaire, unifiante ; il n’y a pas de réalisation subjective possible du sujet comme partenaire sexué dans ce qui s’imagine comme unification dans l’acte sexuel. Le nombre d’or sert de support mathématique pour énoncer cette incommensurabilité, c’est-à-dire le rapport du petit a au 1. Mais c’est de vouloir mettre en relation l’objet a au 1, de croire que la jouissance, dont l’objet a n’est le support, puisse unifier, que ce que le sujet réalise est la castration. Nous retrouvons ces mêmes termes autour de l’acte psychanalytique. Au bout de la tâche analysante, nous avons bien vu que le sujet ne réalise exactement qu’en tant que manque, symbolisé par le moins phi. En d’autres termes, le sujet ne se réalise qu’en tant que castration. Sur l’axe ou je ne pense pas/je ne suis pas, où nous avons situé la tâche analysante, le manque est rencontré à la place du je ne suis pas. Quand nous disons que la réalisation subjective aboutit à l’expérience du manque, à la castration, cela signifie que le manque ne coïncide pas avec l’organe de la jouissance, de l’objet petit a. Ce manque était là depuis le départ, c’est l’essence même du sujet qu’on appelle homme : l’essence de l’homme est le désir disait Spinoza. Mais cette articulation du manque dans sa fonction d’organum suppose, comporte une perte en tant qu’elle était là d’abord. Rappelons que Freud a toujours expressément formulé que la perte de l’objet est à l’origine du statut de l’inconscient. Plus précisément donc, ce que le sujet trouve en tant que réalisation à la fin de l’analyse est la séparation entre l’objet petit a et le manque moins phi ; le sujet se réalise dans la castration en tant que défaut fait à la jouissance sexuelle. C’est aussi ce que l’articulation logique de l’acte sexuel nous éclaire. À travers le groupe de Klein :
A la fin de l’analyse, le résultat des trois opérations ( aliénation, vérité, transfert) produit trois mouvements. Le premier : le sujet qui se retrouve à la fin de la tâche analysante à la position du « je ne suis pas » revient à la position de départ du « je ne pense pas » ayant donc un savoir sur le désêtre du sujet supposé-savoir. C’est représenté par :
Deuxième mouvement : à la fin de l’analyse, le sujet franchit l’acte d’où la tâche analysante peut se répéter. En occupant le point mythique du départ « ou ou », d’où on puisse faire qu’il existe quelque chose qui réponde à la tâche au sujet supposé-savoir, le sujet suivra la direction de l’opération vérité pour joindre l’autre bout du groupe de Klein. Il se fait charge d’une vérité conquise qui est de l’ordre du « pas sans le savoir », et donc l’acte est de l’ordre d’une intervention signifiante qui n’est susceptible d’aucune généralisation que l’on puisse appeler savoir. C’est représenté par :
L’opération transfert, qui fait déchoir l’objet petit a, met à nu la nature de tout acte humain. Le mouvement qui part du départ « ou, ou » passant par le désêtre du « je ne pense pas » aboutit à l’objet déchu appelé objet petit a. Ce que à quoi aboutit tout acte, à cet objet petit a d’où se dénote une position de déchet, nous ouvre à ce qu’il en est du destin de tout acte ; ce destin, dont l’antiquité nous a livré à travers le héros, se situe au niveau du dramatique. C’est représenté par :
Sur la base de ce destin, nous pouvons réécrire le mot d’ordre que Freud donne à l’analyse : wo es war, soll ich werden. A place du Es nous mettons le S barré pour indiquer le signifiant qui agit dans un double sens : il vient de cesser d’agir et il allait juste agir. Là où c’était, là où se trouve l’inconscient et où le sujet rencontre la castration, Soll ich werden, que Lacan préfère écrire « muss ich », c’est le moi qui agit, qui lance dans le monde ; dans ce que le moi introduit comme nouvel ordre dans le monde, le « je » dois devenir le déchet.
Pour aborder l’objet fondamental de l’acte psychanalytique, à savoir l’objet petit a, Lacan nous invite à nous approcher à la logique.
Commençons par le « pas sans ». Prenons la logique inventée par les stoïciens. Elle consiste à se demander comment il faut que les propositions s’enchaînent au regard du vrai et du faux, et à mettre en place une relation d’implication qui fait intervenir deux temps propositionnels, la protase et l’apodose, et qui permet d’établir que le vrai ne saurait impliquer le faux sans empêcher pourtant que du faux on puisse déduire aussi bien le faux que le vrai. C’est l’adage : ex falso sequitur quod libet ». Mais dans cet adage il y a une contradiction qui émerge assez facilement si nous invertissons l’ordre de la proposition « p » implique « q » pour voir surgir :si « non p », pas de q, et par là même une négation. Cette négation n’a rien à voir avec la négation complémentaire parce qu’elle ne joue pas au niveau du prédicat, mais au niveau de ce qu’Aristote appelle un propre. La contradiction surgit facilement si nous écrivons la phrase suivante : il n’y a pas de vrai sans faux.
Sur la base de ce que nous avons posé, prenons la logique d’Aristote avec les quantificateurs tout et quelques, et essayons de l’écrire avec la logique de la double négation :
L’Universelle affirmative : tout homme est sage devient
Pas d’hommes qui ne soit sage
La particulière affirmative : quelque homme est sage
Il est homme qui soit sage
Nous pouvons ajouter e « tel que » nous permettant d’écrire l’universel affirmative sur le modèle du « il est homme que.. »
Il n’est homme tel qu’il ne soit sage
La particulière négative : quelque homme n’est pas sage
Il est homme tel qu’il ne soit sage
Nous pouvons en déduire, et nous l’avions déjà avec la logique de Peirce, que ce qui constitue le véritable sujet de tout universel, c’est essentiellement le sujet en tant qu’il est essentiellement et fondamentalement ce pas de sujet, qui s’articule dans notre nouvelle façon logique : « pas d’homme qui ne soit sage ». La première négation posée sur le prédicat se distingue de la négation complémentaire parce qu’elle est corrélative de l’instauration du sujet comme référent au manque ; la deuxième négation permet de faire surgire la fonction du tout à partir de la proposition affirmative particulière « il est homme qui soit sage ». Il nous reste à comprendre ce qui mène ce sujet que nous avons réduit à « pas qui ne » à pouvoir se poser comme étant capable d’appréhender quelque chose comme tout et à se penser comme sujet de la connaissance, c’est-à-dire à se penser comme support de quelque chose qui est tout. Avant de répondre à cette question, nous allons réécrire ces propositions à l’aide de la logique de Frege où l’Universelle affirmative « tout homme est sage » s’écrit :
où le « sage » est la fonction et l’« homme », placé dans ce petit creux, cette concavité, est ce Frege appelle la fonction de l’argument. Suivant ce procédé, il est facile à l’aide d’une simple barre indiquant la négation d’écrire l’universelle négative :
Il suffit maintenant de mettre une barre avant le petit creux pour inscrire la double négation et voir surgir l’Universelle affirmative selon la nouvelle formulation de Lacan :
Nous posons maintenant là où nous avons posé la première négation, le signifiant premier S et S1 où nous avons posé la deuxième négation ; nous posons donc le S et S1 là où la double négation fait de support au sujet repéré comme « pas que ne ». Ce S est le signifiant qui représente un sujet pour un autre signifiant S1 et entre les deux, au niveau de la répétition primitive, s’opère une perte où nous situons la fonction de l’ objet perdu, l’objet petit a autour de quoi tourne la première tentative opératoire du signifiant. La place occupée par la fonction de l’objet petit a sera donc celle occupée par le facteur appelé « argument » dans l’énoncé de Frege. Cette fonction de l’objet petit a fera de support à la fonction du tout de l’Universelle affirmative qui y trouve son assise. Voilà une nouvelle inscription qui, loin d’être logique, est plutôt ce qui montre le point tournant originel où s’institue la fonction du tout, point de départ de la logique d’Aristote :
L’objet a nous indique donc l’endroit autour de quoi se forge la fonction du tout et le point tournant où prend consistance le mirage du tout, notamment ce que nous avions posé en amont de tout acte. L’hypothèse qui émerge de ce raisonnement est la suivante : l’essence du tout qui supporte la fonction de la quantification a une relation étroite avec la présence de l’objet a.
Ce qui nous restait à comprendre, notamment ce qui mène ce sujet que nous avons réduit à « pas qui ne » à pouvoir se poser comme étant capable d’appréhender quelque chose comme tout et à se penser comme sujet de la connaissance, c’est-à-dire à se penser comme support de quelque chose qui est tout, trouve une réponse dans cette fonction qui relève de l’objet a. C’est l’objet que nous avions identifié dans le nombre d’or, ou plus précisément l’inverse du nombre d’or, nous permettant de montrer son incommensurabilité à l’unité et de désigner la partialité de l’objet a, qui n’est pas celle de la partie d’un tout mais au contraire celle d’une partie n’ayant aucune commune mesure avec le Un de la totalité. L’acte sexuel s’acte sous forme de déni de cette incommensurabilité ; le tout vient à la place de cette partialité de l’objet, de cette incommensurabilité. Ce qui ne veut pas dire que la place du tout est ici, qui serait plutôt du côté du Un de la totalité, mais ça veut dire qu’il vient occuper cette place. La fonction du tout, le tout quantificateur, la fonction de l’universel dans le domaine de la logique peut être donc conçu comme un déplacement de la partie, de cette partie qui n’est pas celle d’un tout mais celle d’une partie n’ayant aucune commune mesure avec le Un de la totalité. C’est cet objet qui motive, au niveau du sujet, un fonctionnement tel que le sujet se croie tout et se croie tout sujet ; tel que le sujet se croie sujet de tout et de ce fait même en droit de parler de tout ; tel que le sujet puisse se penser comme support de quelque chose qui est tout, celui que nous avons épinglé au niveau de la logique.
A la fin de la tâche analysante, le psychanalysant, en étant arrivé à la réalisation qui est celle de la castration en faisant choir l’en-soi de l’objet petit a, fait retour au point de départ mythique du choix forcé, du je ne pense pas ou je ne suis pas. Ici, il peut s’accomplir un acte en sachant, en connaissance de cause, pourquoi cet acte ne le réalisera lui-même jamais pleinement comme sujet. Le moment électif où il se produit est celui où le psychanalysant passe au psychanalyste. Cet acte met à nu la structure de l’être humain : une division du sujet et un objet appelé petit a qui a été et reste structurellement la cause de cette division. De cette expérience, un savoir particulier retentit : une impuissance à en savoir tout et un savoir sur le tout surgit. C’est grâce à un petit parcours dans le domaine de la logique, que nous avons pu voir surgir l’étroite relation entre la fonction du tout, de la fonction de l’universel et l’objet a. L’acte psychanalytique met à nu l’impossibilité d’accomplir ce dont le sujet se fait comme support, support du tout montrant d’un côté cette division structurelle et ce qui en a été la cause, ce qui a fait surgir ce dont l’acte inspire : le tout.
Au début de cet écrit, nous avons fait un succinct rappel du concept de l’acte dans notre tradition occidentale. Après ce long détour sur l’acte psychanalytique qui entre autres devait nous ouvrir de nouvelle perspective sur l’acte en général, il nous reste à indiquer ses rapprochements avec des élaborations faites dans notre tradition autour du concept d’acte. Le premier rapprochement nous le trouvons dans l’élaboration d’acte dans la pensée de Hegel qui exige un développement en soi étant donné la complexité de l’argument. Le deuxième, nous le retrouvons avec l’acte tragique présent dans la tragédie grecque.
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