Edelman Gerald Maurice

Extrait de “Dictionnaire de neuropsychanalyse" de Serafino Malaguarnera, 12 octobre 2016, pp. 143-147.

Gerald Maurice Edelman (1929 - 2014) est un biologiste. En 1972, il obtient avec Rodney Porter le prix Nobel de médecine pour des recherches concernant le système immunitaire. Il a occupé la fonction de directeur de l’Institut de neurosciences à La Jolla en Californie. L’objectif de ses recherches est de prolonger la démarche darwinienne de l’évolution des organismes vivants à l’organisation de la vie psychique humaine, et en particulier à la conscience. ---------------------------------------------

Dans le domaine des neurosciences, les travaux d’Edelman se situent dans la problématique de la science de la reconnaissance. Il montre que la perception et la reconnaissance ne sont pas des fonctions cérébrales indépendantes et que les principes darwiniens de sélection naturelle contribuent à expliquer l’organisation de la perception en catégories constituant la base de la mémoire et de la reconnaissance. Selon Gerald Edelman, la reconnaissance serait la mise en correspondance adaptative et continuelle des éléments d’un domaine physique donné aux nouveautés survenant dans les éléments d’un autre domaine physique, plus ou moins indépendant du premier. Ces deux domaines présents en immunologie sont les anticorps et les antigènes. Les structures neuronales dynamiques et des groupes d’informations, de stimuli, provenant du monde extérieur sont les deux domaines que nous retrouvons en neurosciences. Ces systèmes de reconnaissance ont des principes communs, mais des mécanismes différents, qui s’élèvent à trois : un générateur de diversité au sein du domaine interne ; un mode d’interaction entre le domaine externe et les différents répertoires de variantes du domaine interne, permettant de perpétuer les modifications qu’y opère la sélection ; une amplification différentielle de certains éléments du domaine interne. Dans le cas de l’évolution, la diversité est fournie par les mutations génétiques, l’interaction par les stimulations de l’environnement et l’amplification par la sélection naturelle darwinienne. Ces mécanismes fondent la théorie de sélection des groupes neuronaux (TSGN) de Gerald Edelman. Cette sélection à partir d’un très grand nombre de variantes s’applique à trois niveaux : celui du développement fœtal, celui de l’expérience acquise au cours du début de vie, celui de la réentrée en cours de vie assurant la coordination de nombreuses aires différentes.

Le premier mécanisme de la TSGN concernant le principe de générateur de diversité est la sélection développementale qui est appliquée à la construction du cerveau dès les premiers mois de la vie embryonnaire. Le développement et la morphogenèse du cerveau se poursuivent sous l’impulsion de processus (la neurogenèse, la migration neuronale, l’adhésion qui régule la croissance des extrémités neuronales, la formation des connexions...) qui n’agissent ni de la même façon ni au même endroit d’un neurone à l’autre. La formation des connexions entre neurones — pour prendre un exemple de ces processus — ne suit pas un schéma préétabli : les neurones se connectent d’abord au hasard, ensuite, en se stabilisant en circuits de base, ils forment des groupes de circuits qui se connectent pour former des cartes. L’absence de câblage spécifié à l’avance et la mise en place de telles variations produisent une telle diversité de structure qu’il est impossible de trouver deux individus, même jumeaux, ayant le même cerveau.
Le deuxième mécanisme de la TSGN concernant le principe de mode d’interaction entre le domaine externe et les différents répertoires de variantes du domaine interne est la sélection par expérience. Celle-ci se met en place après la naissance, lorsque le cerveau entre en contact avec l’environnement par l’intermédiaire des organes sensoriels. Cette sélection s’opère au niveau de la synapse par la survie des plus adaptés : les connexions les plus utilisées se renforcent, d’autres disparaissent. Ainsi, le câblage entre groupes neuronaux va être modifié en fonction des interactions avec l’environnement, notamment sensoriel. Ces différentes modifications participent à la formation d’une morphologie singulière du sujet. Les neurones sélectionnés se stabilisent en groupes ou circuits et forment ce que Gerald Edelman appelle des cartes neuronales. Cette sélection par expérience est aussi à la base de la plasticité cérébrale.
Le troisième mécanisme est l’amplification par la sélection naturelle darwinienne. Les cartes neuronales, formées à partir des circuits sélectionnés, sont connectées entre elles par un réseau très dense de fibres réciproques et massivement parallèles. À ce stade, Edelman introduit la notion de réentrance, qui représente un pilier de ce troisième et dernier mécanisme de sélection. Lorsque le cerveau perçoit un objet, chaque carte spécialisée traite un aspect de cet objet et reçoit indépendamment des signaux du monde extérieur. Par exemple, il y a celle spécialisée dans la couleur et l’autre dans les contours. En même temps, des signaux réentrants relient certaines combinaisons actives de groupes neuronaux appartenant à la carte de la couleur à différentes combinaisons appartenant à celle des contours. Les fonctions et les activités des deux cartes — par exemple, celle de la couleur et celle des contours d’un objet — sont donc reliées entre elles et, grâce à la réentrée, les cartes peuvent mettre en relation les différents aspects d’un objet ou des événements qui se déroulent dans le monde extérieur. La perception d’un objet combine ainsi l’activité de différentes cartes du cortex, les unes sensibles aux formes, les autres à la couleur, les troisièmes au toucher, etc. Un tel processus ne nécessite pas un superviseur ou homoncule qui apporterait de la cohérence à la perception. Cette réentrance, selon Edelman, serait à la base de la formation non seulement de la perception, mais également à celle de la pensée conceptuelle et de la conscience. Ces différentes cartes reliées entre elles et activées par un objet du monde extérieur sont reliées à des circuits d’intégration supérieure qui permettraient une catégorisation et une allocation de valeurs — par exemple émotionnelles — au percept engendrant une perception de significations.
Étant donné que le développement se fait selon une connectique interneuronale et par l’intermédiaire d’expériences propres à chaque individu, les contenus de la pensée et de la conscience dépendent surtout de la sélection par l’expérience plutôt que par la phylogenèse (des gènes). Ces contenus, imprévisibles et propres à chaque individu, peuvent continuellement se modifier.
   ---------------------------------------------------

Gerald Edelman, qui a loué Freud pour avoir découvert l’inconscient humain à partir d’une observation pointilleuse de la mémoire, a déclaré que l’hypothèse de l’inconscient est soutenable d’un point de vue scientifique et que le refoulement freudien (1) serait compatible avec sa TSGN. Il sollicite, en outre, que les tentatives déjà en cours qui visent à relier la théorie psychanalytique à une théorie du cerveau physiologiquement fondée s’intéressant aux problèmes de catégorisation soient poursuivies (Edelman, 1992).
Le psychanalyste Arnold Modell (1990) propose un modèle psychanalytique de la mémoire qui est scientifiquement fondé grâce à l’intégration de la théorie TSGN de Gerald Edelman. Cette intégration entre la psychanalyse et les travaux sur le darwinisme neuronal a été louée par Oliver Sacks (1998) et a reçu l’appui de Gerald Edelman (1992). Arnold Modell a rencontré Edelman et lui a présenté son manuscrit, The Private Self (1993), dans lequel il cite à son tour le livre de Gerald Edelman, Bright Air (1992), où il avait été pris en compte. Ce nouveau modèle psychanalytique de la mémoire (2) offre une nouvelle lecture de certaines notions centrales de la psychanalyse, telles que la compulsion de répétition et le transfert, et permet d’apporter une nouvelle vue sur le cadre thérapeutique. Arnold Modell propose une interprétation alternative de la compulsion de répétition décrite par Freud sur la base d’une vision sélectionniste de la fonction cérébrale. Selon lui, le fait que les catégories se recréent dans la mémoire constitue un principe biologique de base qui, dans certaines circonstances, prévaut sur le principe de plaisir de Freud. Il suggère un rapprochement entre la recherche compulsive d’une identité perceptive parmi les objets présents en relation avec les objets passés et la notion psychanalytique de compulsion de répétition. Cette recherche d’une identité perceptive entre les objets présents et passés est particulièrement sollicitée dans le cadre thérapeutique qui offre plusieurs niveaux de réalité et qui caractérise ce que la psychanalyse appelle le transfert. Le déroulement thérapeutique au sein du cadre psychanalytique consiste dans la possibilité de réaliser des retranscriptions des anciennes perceptions sollicitées par le transfert en nouvelles perceptions.                                              ________________

1. Voir : Refoulement
2. Voir : Après-coup

Bibliographie :
Edelman G. M. (1992), Bright air, brilliant fire. On the matter of mind, New York, Basic Books.
Edelman G. M., Tononi G. (2000), Comment la matière devient conscience, Odile Jacob, 2000.
Edelman G. M. (2004), Wider than the sky: the phenomenal gift of consciousness, Yale Univ, Press.
Edelman G. M. (2006), Second nature: brain science and human knowledge, Yale University Press,
Edelman G. M. (1987), Neural darwinism: the theory of neuronal group selection, New York, Basic Books.
Edelman G.M. (1992), La biologie de la conscience, Odile Jacob, 2008.
Modell A. (1990), Other Times, Other Realities, Toward a Theory of Psychoanalytic Treatment, Harvard University Press.
Modell A. (1996), The Private Self, Harvard University Press.
Sacks O. (1998), The Other Road: Freud the Neurologist, in: Freud Conflict and Culture: Essays on His Life, Work, and Legacy. (ed.) Michael Roth. New York: Vintage Books: 221-234.

Compléments :
Après-coup, Compulsion de répétition, Désir (satisfaction hallucinatoire du — ), Modell Arnold, Plasticité cérébrale, Refoulement, Soi