Cybernétique

Extrait de “Dictionnaire de neuropsychanalyse" de Serafino Malaguarnera, 12 octobre 2016, pp. 113-115.

Anglais : Cybernetics

La cybernétique est une science des systèmes autorégulés qui s’intéresse aux relations entre les éléments d’un système à travers l’étude de l’information et des principes d’interaction.                                                                                                           -----------------------------------------                                          
Entre 1942 et 1953, le premier groupe de cybernétique se met en place dans le cadre des conférences Macy, qui s’élèvent à dix. Il réunit un groupe interdisciplinaire de mathématiciens, logiciens, anthropologues, psychologues et économistes ayant comme objectif l’édification d’une science générale du fonctionnement de l’esprit. Il y avait essentiellement deux groupes de participants à ces réunions de Macy : les membres d’un groupe voulaient relier les sciences mathématiques et physiques aux sciences psychologiques comme la psychanalyse, la psychologie du développement ou la gestalt (parmi ces membres, citons : Margaret Mead, Lawrence Kubie, Lawrence Frank), les membres de l’autre groupe se méfiaient des sciences psychologiques. L’approche cybernétique a posé les bases d’une étude scientifique des processus cognitifs. Au cours des années 1970, la cybernétique a presque disparu et elle est supplantée par l’intelligence artificielle. Elle réapparaît de nos jours sous une nouvelle forme appelée connexionnisme ou « néo-connexionnisme.                                                                                                                                                                        -------------------------------------
                                                                 
Le psychanalyste Lawrence Kubie faisait partie du groupe interdisciplinaire de la première cybernétique (1). Il a proposé la théorie des circuits fermés réverbérants comme possible soubassement neurophysiologique des névroses. Les circuits fermés réverbérants sont des circuits dans lesquels les impulsions sont piégées et tournent en rond indéfiniment. Cette théorie a été reprise par le neuropsychiatre Warren McCulloch, un des fondateurs de la première cybernétique. Grâce aux travaux de Lawrence Kubie, la cybernétique pouvait donner une assise scientifique et rigoureuse à la psychanalyse sur une base neurophysiologique et lui permettre de survivre à la réduction neurophysiologique.                                                                                                        
En affirmant que l’information n’est ni matière ni énergie, Norbert Wiener — fondateur de la cybernétique — croyait pouvoir dépasser l’opposition entre l’esprit et le corps. Dans le Chapitre VII de Cybernetics (1948), intitulé  Cybernétique et psychopathologie, Wiener propose de concevoir la psychanalyse sur la base d’échanges d’information plutôt que sur la base d’échanges d’énergie comme Freud l’avait conçue, car les informations véhiculées par le langage sont réelles comme les séquences d’impulsions électriques transmises dans les neurones ou les commutateurs téléphoniques. Bien que Lacan ne fasse jamais référence à cette suggestion de Wiener (2), Lacan suivra cette conception, car il minimisera le biologisme freudien dans son retour à Freud  et le langage aura une place centrale dans sa démarche. De manière explicite, Lacan se réfère à la cybernétique lorsqu’il mentionne la machine cybernétique, qui désigne un calculateur électronique, et l’automatisme des symboles et des messages. Pour développer son argumentation au sujet de l’autonomie de la chaîne signifiante et de l’ordre symbolique, Lacan a besoin d’une notion de machine réelle, incarnée dans la matière, qui peut faire automatiquement et conformément à des règles des opérations sur des chaînes de symboles. Il trouve précisément cette notion de machine réelle dans celle de machine cybernétique (Lacan, 1954-1955). Lacan s’inspire également au modèle cybernétique lorsqu’il élabore son modèle du graphe du désir (Lacan, 1958-1959).                                          ________________

1. Malgré sa critique des institutions analytiques (sectarisme, lobbying, etc.), et son reproche de manque de scientificité de la psychanalyse, le neuropsychiatre Warren McCulloch, principal représentant des cybernéticiens et l’organisateur des conférences Macy, avait invité un psychanalyste aux conférences parce que les représentants des sciences humaines (Lawrence Frank, Gregory Bateson, Frank Fremont-Smith et Margaret Mead) avaient insisté pour qu’un psychanalyste soit présent. Warren McCulloch choisit Kubie, car il a une grande estime pour ses travaux sur les circuits neuronaux réverbérants.                                                                                                                                                         
2. Il est fort probable que Lacan a lu l’ouvrage Cybernetics et tout particulièrement le chapitre « Cybernétique et psychopathologie » qui pouvait le concerner le plus.

Bibliographie :                                                                                                                                                       
Kubie L.S. (1930). A theoretical application to some neurological problems of the properties of excitation waves which move in closed circuits, Brain, 53, 166-177.       Kubie L.S. (1941), Repetitive Core of Neuroses, Psychoanalytic Quarterly, 10, 23-43.Le Roux, Ronan « Lévi-Strauss, Lacan et les mathématiciens », Les dossiers de HEL [supplément électronique à la revue Histoire Épistémologie Langage], Paris, SHESL, 2013, n° 3 disponible sur internet :                                                                                             
http://htl.linguist.univ-paris-diderot.fr/num3.htm/leroux.pdf                                                     
Lacan J. (1954-1955), Le Séminaire II, Le moi dans la théorie du Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le Seuil, 1978.                                                                                                                 
Lacan J. (1958-1959), Le Séminaire VI, Le désir et son interprétation, Le Seuil, 2013.                                                                                                                       
Clarac F. (2008), Encyclopédie historique des neurosciences : Du neurone à l’émergence de la pensée, De Boeck Supérieur.                                                                                                                                                         
Wiener N. (1948), Cybernetics or Control and Communication in the animal and the Machine, Hermann.

Compléments :                                                                                                                                                      
Gill  Merton, Kubie Lawrence, Lacan Jacques, Pribram Karl 

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