Allemand : Traum — Anglais : Dream.
Freud définit le rêve comme la réalisation d’un désir infantile refoulé, qui correspond au contenu latent du rêve, sous une forme masquée qui correspond au contenu manifeste. La transformation du contenu latent en contenu manifeste, permettant ainsi l’accomplissement d’un désir sous forme d’un rêve, est le fruit du travail du rêve qui opère à travers quatre mécanismes : condensation (Verdichtung), déplacement (Verschiebung), prise en considération de la figurabilité (Bücksicht auf Darstellbarkeit ), élaboration secondaire (sekundäre Bearbeitung). Les restes du jour ou restes diurnes sont des fragments d’expériences vécues le jour même ou les jours avant et servent de prétexte au travail du rêve pour réaliser un accomplissement d’un désir infantile refoulé (Freud, 1900). ===============================
Stanley Palombo (1978, 1984, 1992) propose des corrections et modifications à la théorie psychanalytique sur le rêve qui prennent en compte des données en laboratoire du sommeil de rêves de patients en psychothérapie et des avancées conceptuelles des sciences cognitives, et plus précisément du traitement de l’information. Les explications des rêves traumatiques prennent en compte les notions cognitives d’encodage, de la mémoire procédurale et mémoire déclarative. Le rêve utilise un reste diurne parce qu’il peut être facilement encodé par superposition d’images. Cependant, si le reste diurne est un souvenir traumatique alors il ne peut pas être encodé parce qu’il est trop précis. Cette difficulté d’encodage ne permet pas le passage d’une mémoire procédurale, où le souvenir précis déclenche une procédure d’action, à une mémoire déclarative, où le souvenir se présente sans déclencher une procédure d’action.
Ernest Hartmann, professeur de psychiatrie de Boston, a publié un ouvrage sur le rêve présentant une synthèse des données en neurosciences et en psychanalyse (1973). Selon cet auteur, le rêve a une fonction thérapeutique, car il permet d’apaiser des préoccupations émotionnelles. Celles-ci sont mises en images durant le rêve qui réduit leur force émotionnelle en effectuant une répartition de l’excitation à travers une formation de connexions, comme un tissage, plus diversifié du réseau neuronal. À court terme, il y a donc une réduction de la tension émotionnelle et un apaisement de l’humeur, tandis qu’à long terme, la mémoire s’enrichit, car les nouvelles ramifications et l’augmentation des interconnexions permettent l’intégration de nouvelles données. Ces nouvelles ramifications et interconnexions du réseau neuronal se réalisent par un traitement sensoriel séquentiel et parallèle qui n’aboutit pas à une réponse motrice, alors que pendant l’éveil les nouvelles ramifications et interconnexions du réseau neuronal se réalisent par un traitement sériel qui mène à une réponse motrice, ou en d’autres termes le réseau neuronal fonctionne comme un réseau feed forward. Ainsi, Ernest Hartmann reformule le processus primaire, qui règne dans le monde onirique, et le processus secondaire, propre à l’éveil, en termes connexionnistes : le premier se caractérise par un traitement parallèle et associatif qui n’aboutit pas à une réponse motrice alors que le deuxième est caractérisé plutôt par un traitement sériel et une décision motrice. En outre, le rêve traduit un état émotionnel particulier du rêveur en représentation visuelle. En d’autres termes, on peut y déceler un processus métaphorique : des images représentent des notions abstraites (telles que l’émotion, le courage, le défi, etc.) grâce au processus métaphorique qui utilise une image pour exprimer quelque chose. Cependant, cet auteur rappelle qu’il y a certaines images du rêve qui n’ont pas un sens métaphorique. Les rêves, souvent liés aux événements de la vie diurne du rêveur, nous livrent surtout de précieux renseignements sur le vécu subjectif du rêveur. Ernest Hartmann rappelle que l’importance de l’émotion dans les rêves est compatible avec les recherches sur le sommeil par imagerie qui montrent que l’amygdale est fortement activée (bilatéralement) pendant le sommeil paradoxal, par rapport au sommeil NREM et l’éveil (Maquet et coll., 1996 ; Sutton et coll., 1996 ; Braun et coll., 1997 ; Maquet et coll., 2004). Ernest Hartmann partage l’idée de Freud selon laquelle le rêve est la voie royale vers l’inconscient et propose que l’image centrale puisse être la voie la plus rapide pour y accéder (Hartmann, 2008).
Dans les années soixante, la nature psychique du rêve est remise en cause par les travaux de Michel Jouvet. Les travaux de Michel Jouvet s’inscrivent dans l’idée partagée par les chercheurs, dans les années cinquante, impliqués dans les études sur le sommeil paradoxal selon laquelle le stade du sommeil est l’équivalent physiologique du rêve. Dans les années soixante, Michel Jouvet (1967) conduit les premières recherches sur la nature du rêve à travers des expériences d’ablations qui montrent que, d’un point de vue neurophysiologique, le phénomène du rêve est associé à un cycle mécanique contrôlé par une partie du cerveau, notamment le tronc cérébral, qui n’est pas le siège des états mentaux. Certaines structures cérébrales voisines au tronc cérébral sont responsables des états qui caractérisent le sommeil paradoxal, à savoir les mouvements oculaires, le rythme cardiaque et la respiration. Toutes ces données portent à soutenir l’idée que le rêve est la conséquence de processus physiologiques qui se déroulent dans cette partie du cerveau. En 1977, J. A. Hobson et R. McCarley présentent un modèle, appelé modèle de l’activation synthèse, qui explique l’activation du prosencéphale comme une tentative d’apporter une cohérence aux représentations insensées produites par le tronc cérébral. Les hypothèses de Freud sur les rêves seraient ainsi invalidées, car elles seraient incompatibles avec les connaissances acquises sur le sommeil paradoxal, à savoir : le rêve ne repose pas sur la vie psychique, mais sur une activité neurobiologique déterminée génétiquement et les structures cérébrales impliquées dans le sommeil paradoxal démontre que le rêve est dénoué de pensée et ne repose sur aucune base motivationnelle. En 1976, lors du congrès annuel de l’American Psychiatric Association, Allan Hobson obtient un vote qui rend caduque la théorie du rêve avancée par Freud. Étant donné que Freud considérait les rêves comme la voie royale pour comprendre l’inconscient des patients, ce vote de 1976 apporte un discrédit important au mouvement psychanalytique en général.
À partir des années septante, l’étude des rêves devient un terrain d’entente, de convergence et de rapprochement entre la neuropsychologie et la psychanalyse (2). En 1992, Mark Solms présente au Psychoanalysis Neuroscience Study Group ses travaux sur le rêve, publiés en 1997, qui annoncent que le rêve et le sommeil paradoxal ne sont pas corrélés. Mark Solms le montre grâce aux récits de rêves en dehors des phases REM de patients avec, au niveau cérébral, des structures pontiques lésées. Il montre dans d’autres recherches qu’il y a une persistance des rêves parmi des patients ayant des lésions des régions du pont impliqué dans l’activation du sommeil paradoxal et qu’il y a une interruption des rêves chez des patients ayant des lésions de certaines parties du prosencéphale qui ne sont pas impliqué dans la production du sommeil paradoxal (Solms, 1997 ; 2000). Une de ces parties du prosencéphale est l’aire de jonction des cortex occipital, temporal et pariétal située à l’arrière du prosencéphale. L’autre partie du prosencéphale dont la lésion provoque une absence totale de rêve se situe dans la substance blanche limbique de la partie ventromédiane des lobes frontaux. Il y a d’autres parties cérébrales qui, étant lésionnées, modifient les caractéristiques des rêves (augmentation de la fréquence, des cauchemars, déficience de l’imagerie visuelle des rêves) sans pour autant arrêter la production des rêves. Les résultats de ces études d’observations sur des cas de lésion sont confirmés par les recherches conduites par imagerie fonctionnelle (Braun et coll., 1997 ;1998). Ces résultats comportent également la constatation de l’implication de la sphère émotive dans la production des rêves. Plus précisément, tous les systèmes de commande des émotions décrits par Jaak Panksepp sont fortement actifs pendant le déroulement des rêves du sommeil paradoxal. Cependant, les recherches concernant les états psychotiques permettent de mettre en évidence le système exploratoire (1) et de le proposer comme la force motrice première du rêve (Hartmann et coll., 1980 ; Solms et Turnbull, 2002). Pendant l’éveil, le système exploratoire nous pousse à découvrir notre environnement. Il est raisonnable de penser que l’activation de ce système pendant le sommeil induit la production de rêves qui réalisent sous forme d’image des actions souhaitées faire dans le monde réel.
L’affirmation de la non-scientificité de la théorie freudienne du rêve lors du congrès annuel de l’American Psychiatric Association en 1976 perd sa valeur. Ainsi, la conception neuroscientifique du rêve selon laquelle le sommeil paradoxal serait le substrat physiologique du rêve et qu’il serait donc sans pensée et motivation s’est révélée infondée. Mark Solms montre également une grande concordance entre les données neuroscientifiques et la conception freudienne du rêve, et il propose l’utilisation du modèle psychanalytique pour orienter les recherches neuroscientifiques sur le rêve. Cependant, il précise que la compatibilité entre les données neuroscientifiques et la théorie freudienne du rêve ne signifie pas pour autant que celle-ci soit validée per les neurosciences.
La neuropsychanalyse peut apporter des réponses à des questions qui n’obtiennent pas des réponses satisfaisantes ou qui ne sont pas traitées par les neurosciences car elles ne tiennent pas compte de la dimension de la subjectivité, singularité et signification personnelle, pourtant nécessaire pour progresser dans la compréhension du rêve (Ruby, 2011). Celles qui rentrent parmi ces questions sont : les représentations du rêve émergent selon le hasard ou certains critères spécifiques, l’organisation des représentations est chaotique ou déterminé par des règles, est-ce que le rêve a un sens. ________________
1. Voir : Émotion
2. Voir à ce sujet les numéros spéciaux sur le rêve de la Psychoanalytic Review (2003) et du Journal of the American Psychoanalytic Association (2001).
Bibliographie :
Braun A., Balkin T., Wesenten N., Carson R., Varga M., Baldwin P. et coll. (1997), Regional cerebral blood flow throughout the sleep-wake cycle, Brain, 120, 1173– 1197.
Braun, A., Saxena S., Schwartz J.M., Stoessel P.W., Maidment K., Phelps M.E., Baxter L.R. (1998), FDG-PET predictors of response to behavioural therapy and pharmacotherapy in obsessive compulsive disorder, Psychiatry Research, 84:1-6.
Freud S. (1900), L’interprétation des rêves, trad. I. Meyerson et D. Berger, PUF, 1969. Hartmann E. (1973), The functions of sleep, New Haven and London, Yale University Press.
Harmann E., Russ D., Oldfiedk M., Falke R., Skoff B. (1980), Dream content : Effects of L-DOPA, Sleep Research, 9:153.
Hartmann E. (1995), Making connections in a safe place: is dreaming psychotherapy? Dreaming, 5, 213–228.
Hartmann E. (2000), The waking-to-dreaming continuum and the effects of emotion. Behavioral and Brain Sciences, 23, 947–950.
Hartmann E. (2008), The Central Image (CI) Makes “Big” Dreams Big: The Central Image as the Emotional Heart of the Dream, http://ernesthartmann.com/files/The-Central-Image-makes-Big-Dreams-big_2008_Dreaming%20_1_.pdf
Hartmann E. (2010), The Nature and Functions of Dreaming, Oxford University Press. Georgieff N., Golse B., Ouss L. et Widlöcher D. (sous dir.) (2009), Vers une neuropsychanalyse ?, Odile Jacob.
Jouvet M. (1967), Neurophysiology of the states of sleep, Physiological Reviews, 47:117-177.
Maquet, P., Pe´ters, J., Aerts, J., Delfiore, G., Degueldre, C., Luxen, A. Franck G. (1996), Functional neuroanatomy of human rapid-eye-movement sleep and dreaming, Nature, 383 : 163–166.
Maquet P., Ruby P., Schwartz S., Laureys S., Albouy G., Dang-Vu T. et coll. (2004), Regional organization of brain activity during paradoxical sleep (PS), Archives Italiennes De Biologie, 142, 413–419.
Perrine R. (2011), Experimental research on dreaming: state of the art and neuropsychoanalysis perspectives, Frontiers in Psychology, 2:286.
Compléments :
Condensation, Freud Sigmund, Métaphore, Psychoanalysis Neuroscience Study Group