La psychanalyse, celle qui se réfère à l’enseignement de Lacan (1), ne s’est pas limitée à traiter le langage comme ce qui nous permet d’exprimer une pensée et de communiquer grâce à un système de signes, mais elle en a fait un fondement de la constitution et du développement du sujet.
Françoise Dolto a souvent rappelé que la relation symbolique est la source de la vie pour un être humain et que, dès l’origine, nous sommes conçus dans le langage. Elle soutient l’idée que dès sa naissance le bébé est un sujet à part entière puisqu’il est plongé dans le monde de la parole, et bien que le bébé ne puisse pas encore parler, il peut écouter et être tranquillisé par la parole. La relation mère-enfant est dense de premières perceptions qui s’enregistrent et deviennent des signes, des éléments signifiants d’où un sens symbolique s’organise. L’enfant a besoin de la continuité de la relation pour son développement, mais également, dès les premiers jours, de paroles personnalisées. ----------------------------------------
L’idée de Françoise Dolto selon laquelle l’enfant est dès sa naissance un être de langage, notamment qu’il se constitue par le langage, est désormais confirmée par les neurosciences. Les travaux sur la plasticité neuronale montrent que la présence de la parole par l’entourage est essentielle au développement du cerveau et à la survie des neurones. L’absence du langage dans l’entourage provoque une destruction de la capacité à parler, car les connexions correspondantes ne se fixent pas. Gérard Pommier (2004) rappel que l’importance du langage sur le développement mental mise en avant par la psychanalyse lacanienne est désormais confirmée par les neurosciences. La maturation cérébrale se poursuit en effet grâce à l’exercice de la parole sans lequel il y aurait une dégénérescence de certaines aires du langage provoquant la mort psychique.
François Ansermet et Pierre Magistretti (2004, 2010) reprennent la conception lacanienne du langage selon laquelle le langage ne serait pas seulement un organe de communication, mais également un opérateur ayant une action sur la production du sujet. Lorsque l’être humain apparaît au monde, il est affecté par le langage et, pour utiliser une expression de Lacan, serait parasité par celui-ci. Pour François Ansermet et Pierre Magistretti, cela veut dire que l’être humain est parasité par un autre organe que son organisme : le langage préexiste au sujet et, en même temps, il participe à son organisation, et plus précisément à l’organisation du réseau neuronal. Ces auteurs évoquent également un article de Jacques-Alain Miller intitulé Biologie lacanienne où l’auteur parle de l’affection traçante du système de la langue sur le corps qui laisse une inscription. François Ansermet et Pierre Magistretti précisent qu’il y a un double parasitisme, car le langage parasite le vivant, mais le vivant parasite également le langage. Autrement dit, le sujet est déterminé par le langage, mais son corps détermine également l’ancrage au langage. Ainsi, le sujet se retrouve avec des signifiants qui l’orientent vers une direction plutôt qu’une autre, mais ce sera le sujet à conférer à un signifiant plutôt qu’un autre une attribution de plaisir ou déplaisir.
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1. Voir : Lacan Jacques
Bibliographie :
Ansermet F., Magistretti P. (2004), À chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient, Odile Jacob.
Ansermet F., Magistretti P. (2010), Les énigmes du plaisir, Odil Jacob.
Dolto F. (1990), Lorsque l’enfant paraît, éd. du Seuil, 1990.
Dolto F.(1994), Tout est langage, éd. Gallimard, 1994.
Miller J.-A. (2000), Biologie lacanienne et événement de corps, La Cause freudienne, Paris, Navarin/Seuil, n° 44, février 2000, p. 5-45.
Pommier G. (2004), Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, Flammarion 2010.